Ce premier
post de blog sera consacré à l'un des personnages les plus fantomatiques de
l'histoire récente des filles à guitare. Elle ne s'est presque jamais produit
sur scène, vient d'un pays exotique, quoique froid (la Suède), chante avec le
voix d'une gamine de 10 ans, a pratiquement disparu de la circulation depuis
plus d'une décennie, et son nom est suffisamment difficile à mémoriser pour que
peu de gens se souviennent d'elle : Stina Nordenstam. Un fantôme...
Ce n'est que
très récemment que le modeste auteur de ce blog balbutiant a eu connaissance de
son existence, grâce à Thomas Burgel des "Inrocks", qui la cite dans un court article sur Marika Hackman,
une autre fille à guitare d'exception dont on reparlera vite ici.
Stina
Nordenstam est née en Suède sous le nom de Kristina Ulrika Nordenstam en 1969. Elle aurait donc
aujourd'hui autour de 47 ans, mais on a peu de nouvelles depuis son dernier
album (The World is Saved, 2004) si ce n'est quelques rares apparitions sur les
albums d'amis tout aussi vagues (Filur et Nine Horses, vers 2006-2007). Selon
la rumeur, que nous n'avons pas vérifiée, elle aurait fait un très
beau mariage, la laissant à l'abri du besoin. Si c'est le cas, tant mieux pour
elle mais tant pis pour nous.
Car
l'énigmatique suédoise a pratiquement disparu après avoir donné un chef-d'œuvre mélancolique
absolu. "Le Monde est sauvé" (The World is Saved) annonce-t-elle
fièrement en 2004, dans un album à la pochette particulièrement ratée : la
police y a semble-t-il été choisie pour que seuls quelques gothiques attardés s'intéressent à son sauvetage de l'humanité. Oui, le disque est sombre mais
il mérite bien mieux que ça. Du temps où je fouillais encore dans les bacs, je
n'aurais probablement pas prêté la moindre attention à ce CD, en raison
justement de sa pochette, qui le renvoie à un genre auquel il n'appartient pas
entièrement. Mais peut-être la suédoise voulait-elle ne surtout pas toucher son
public, rester en retrait, suffisamment à côté de la plaque pour qu'on ne
s'intéresse pas à elle...
La carrière
de Stina Nordenstam commence avec Memories of a Color (Telegram, 1991), un
disque relativement insipide et mou, aux arrangements "jazzy" néanmoins
soignés, et qui fait surtout émerger cette voix, unique, celle d'une gamine,
enfantine, que certains compareront plus tard à celle de Björk, ce en quoi, à
notre humble avis, ils se fourvoient car la voix de Stina a une brutalité, une
façon d'être en avant malgré son aspect "attardé" qui renvoie Björk à
ce qu'elle est : une maniériste !
Selon ses biographes, elle est alors repérée par le légendaire label indé
britannique 4AD, mais la collaboration ne prend pas, sans que l'on sache trop
pourquoi. Puis elle ferma les yeux... et ce fut tout de suite mieux, comme un
rêve ! Avec And She Closed Her Eyes (Telegram, 1994), tout en
gardant quelques attaches avec le jazz, voire la bossa nova, sa musique se fait
plus incisive et sa voix devient plus naïve, moins travaillée, un univers est
créé : éthéré tout en restant vif, avec cette voix à la fois ingénue et
frontale bien au milieu. Un disque remarquable quoique parfois un peu trop
gentillet.
Mais, sans
doute parce qu'il ne faudrait surtout pas avoir trop de succès, ou parce que Stina
veut essayer autre chose, ou brouiller les pistes, l'album suivant penche
plus vers le rock garage : bonjour l'électricité, adieu l'ambiance jazzy, même
si on garde les violons et un saxophone de ci de là. La tonalité est beaucoup
plus sombre, l'ambiance est plus triste, mais la voix reste la même. Et il y a
toujours cette langueur, assez paradoxale pour un album qui s'appelle Dynamite (1996) ! Le style de Stina s'est un peu asséché, ce qui n'est pas malvenu, car
elle garde la même candeur.
Elle va
aller beaucoup plus loin deux ans plus tard avec un album de reprises
(People Are Strange) totalement déroutant : elle y massacre littéralement
une douzaine de classiques, qui sortent totalement méconnaissables de sa
moulinette. Elle garde les paroles, mais change les tempos, étouffe ou déploie
les orchestrations et crée ainsi de véritables œuvres originales, ou du moins
personnelles ! Son "Purple Rain" est ainsi un vrai joyau, d'une
beauté convulsive. L'album est déroutant et nécessite plusieurs écoutes avant
d'être apprécié. Seul et immense regret : la qualité (peut-être volontairement)
épouvantable de l'enregistrement, qui semble fait avec un dictaphone derrière
un oreiller au fond d'une baignoire.
Sans doute
effrayée par tant d'audace, Stina s'efface pendant trois ans avant de revenir avec
un album dont le titre semble vouloir annoncer la métamorphose : This Is
Stina Nordenstam (2001). Finies la noirceur absolue et l'expérimentation
radicale. Une mue "pop", avec le renfort de Brett Anderson de Suede ici et là. Ce n'est pas un mauvais disque, loin de là, mais on est un peu surpris par cet
apparent retour en arrière et peut-être un peu déçu par sa voix, qui cette fois
semble un peu à l'étroit dans la musique. Cependant soyons rassurés : sa
"pop" reste sous valium, aucune chance de sortir joyeux de son écoute.
Elle nous parle parfois de bonheur, mais le timbre de sa voix contredit toutes
les petites coquetteries qui ornent l'instrumentation. Certaines chansons se
feraient presque dansantes, mais le tempo semble ralenti, juste un poil,
suffisamment pour qu'on aille se recoucher avant d'avoir esquissé le moindre
pas. Et la pochette ne ment pas sur le contenu : Stina est un ange, mais un
ange fragile et malade qui erre dans la lumière blafarde des couloirs d'une
clinique psychiatrique.
Heureusement,
deux ans plus tard, nouvelle métamorphose, sous forme d'une synthèse géniale et
aboutie de tous les chemins explorés jusqu'alors : The World Is
Saved (2004), et nous aussi du coup ! L'instrumentation s'est un peu épurée,
la tonalité d'ensemble est - vaguement, très vaguement - plus joyeuse et -
surtout - on ressent une grande cohérence dans l'album, un équilibre parfait
entre les arrangements raffinés et cette voix, comme sortie de la tombe d'un
enfant.
Et comme il
n'y a plus rien à faire une fois qu'on a sauvé le monde, depuis Stina se tait,
ou presque... On lui doit une "installation sonore" en 2013 pour le
festival "Way Out West" à Göteborg, et c'est à peu près tout. On espère qu'elle voudra
bien nous sauver à nouveau.
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