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  • samedi 13 février 2016

    Stina Nordenstam

    Ce premier post de blog sera consacré à l'un des personnages les plus fantomatiques de l'histoire récente des filles à guitare. Elle ne s'est presque jamais produit sur scène, vient d'un pays exotique, quoique froid (la Suède), chante avec le voix d'une gamine de 10 ans, a pratiquement disparu de la circulation depuis plus d'une décennie, et son nom est suffisamment difficile à mémoriser pour que peu de gens se souviennent d'elle : Stina Nordenstam. Un fantôme...



    Ce n'est que très récemment que le modeste auteur de ce blog balbutiant a eu connaissance de son existence, grâce à Thomas Burgel des "Inrocks", qui la cite dans un court article sur Marika Hackman, une autre fille à guitare d'exception dont on reparlera vite ici.

    Stina Nordenstam est née en Suède sous le nom de Kristina Ulrika Nordenstam en 1969. Elle aurait donc aujourd'hui autour de 47 ans, mais on a peu de nouvelles depuis son dernier album (The World is Saved, 2004) si ce n'est quelques rares apparitions sur les albums d'amis tout aussi vagues (Filur et Nine Horses, vers 2006-2007). Selon la rumeur, que nous n'avons pas vérifiée, elle aurait fait un très beau mariage, la laissant à l'abri du besoin. Si c'est le cas, tant mieux pour elle mais tant pis pour nous.



    Car l'énigmatique suédoise a pratiquement disparu après avoir donné un chef-d'œuvre mélancolique absolu. "Le Monde est sauvé" (The World is Saved) annonce-t-elle fièrement en 2004, dans un album à la pochette particulièrement ratée : la police y a semble-t-il été choisie pour que seuls quelques gothiques attardés s'intéressent à son sauvetage de l'humanité. Oui, le disque est sombre mais il mérite bien mieux que ça. Du temps où je fouillais encore dans les bacs, je n'aurais probablement pas prêté la moindre attention à ce CD, en raison justement de sa pochette, qui le renvoie à un genre auquel il n'appartient pas entièrement. Mais peut-être la suédoise voulait-elle ne surtout pas toucher son public, rester en retrait, suffisamment à côté de la plaque pour qu'on ne s'intéresse pas à elle...




    La carrière de Stina Nordenstam commence avec Memories of a Color (Telegram, 1991), un disque relativement insipide et mou, aux arrangements "jazzy" néanmoins soignés, et qui fait surtout émerger cette voix, unique, celle d'une gamine, enfantine, que certains compareront plus tard à celle de Björk, ce en quoi, à notre humble avis, ils se fourvoient car la voix de Stina a une brutalité, une façon d'être en avant malgré son aspect "attardé" qui renvoie Björk à ce qu'elle est : une maniériste !





    Selon ses biographes, elle est alors repérée par le légendaire label indé britannique 4AD, mais la collaboration ne prend pas, sans que l'on sache trop pourquoi. Puis elle ferma les yeux... et ce fut tout de suite mieux, comme un rêve ! Avec And She Closed Her Eyes (Telegram, 1994), tout en gardant quelques attaches avec le jazz, voire la bossa nova, sa musique se fait plus incisive et sa voix devient plus naïve, moins travaillée, un univers est créé : éthéré tout en restant vif, avec cette voix à la fois ingénue et frontale bien au milieu. Un disque remarquable quoique parfois un peu trop gentillet.









    Mais, sans doute parce qu'il ne faudrait surtout pas avoir trop de succès, ou parce que Stina veut essayer autre chose, ou brouiller les pistes, l'album suivant penche plus vers le rock garage : bonjour l'électricité, adieu l'ambiance jazzy, même si on garde les violons et un saxophone de ci de là. La tonalité est beaucoup plus sombre, l'ambiance est plus triste, mais la voix reste la même. Et il y a toujours cette langueur, assez paradoxale pour un album qui s'appelle Dynamite (1996) ! Le style de Stina s'est un peu asséché, ce qui n'est pas malvenu, car elle garde la même candeur.








    Elle va aller beaucoup plus loin deux ans plus tard avec un album de reprises (People Are Strange) totalement déroutant : elle y massacre littéralement une douzaine de classiques, qui sortent totalement méconnaissables de sa moulinette. Elle garde les paroles, mais change les tempos, étouffe ou déploie les orchestrations et crée ainsi de véritables œuvres originales, ou du moins personnelles ! Son "Purple Rain" est ainsi un vrai joyau, d'une beauté convulsive. L'album est déroutant et nécessite plusieurs écoutes avant d'être apprécié. Seul et immense regret : la qualité (peut-être volontairement) épouvantable de l'enregistrement, qui semble fait avec un dictaphone derrière un oreiller au fond d'une baignoire.







    Sans doute effrayée par tant d'audace, Stina s'efface pendant trois ans avant de revenir avec un album dont le titre semble vouloir annoncer la métamorphose : This Is Stina Nordenstam (2001). Finies la noirceur absolue et l'expérimentation radicale. Une mue "pop", avec le renfort de Brett Anderson de Suede ici et là. Ce n'est pas un mauvais disque, loin de là, mais on est un peu surpris par cet apparent retour en arrière et peut-être un peu déçu par sa voix, qui cette fois semble un peu à l'étroit dans la musique. Cependant soyons rassurés : sa "pop" reste sous valium, aucune chance de sortir joyeux de son écoute. Elle nous parle parfois de bonheur, mais le timbre de sa voix contredit toutes les petites coquetteries qui ornent l'instrumentation. Certaines chansons se feraient presque dansantes, mais le tempo semble ralenti, juste un poil, suffisamment pour qu'on aille se recoucher avant d'avoir esquissé le moindre pas. Et la pochette ne ment pas sur le contenu : Stina est un ange, mais un ange fragile et malade qui erre dans la lumière blafarde des couloirs d'une clinique psychiatrique.








    Heureusement, deux ans plus tard, nouvelle métamorphose, sous forme d'une synthèse géniale et aboutie de tous les chemins explorés jusqu'alors : The World Is Saved (2004), et nous aussi du coup ! L'instrumentation s'est un peu épurée, la tonalité d'ensemble est - vaguement, très vaguement - plus joyeuse et - surtout - on ressent une grande cohérence dans l'album, un équilibre parfait entre les arrangements raffinés et cette voix, comme sortie de la tombe d'un enfant.




    Et comme il n'y a plus rien à faire une fois qu'on a sauvé le monde, depuis Stina se tait, ou presque... On lui doit une "installation sonore" en 2013 pour le festival "Way Out West" à Göteborg, et c'est à peu près tout. On espère qu'elle voudra bien nous sauver à nouveau.


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